Sonntag, 9. März 2014

Père Nicolae Steinhardt de bienheureuse mémoire: Enseignements



Le Père Nicolae Steinhardt est né le 12 juillet 1912. Il était juif et surtout connu pour son Jurnalul Fericirii (Journal de la Félicité / ou du Bonheur, voir photo ci-dessous, première version fortement censurée par les séides de l'étoile sanglante au pouvoir en 1972). Son père, Oscar Steinhardt, était architecte et ingénieur. En 1934, il fut diplômé de l'École de Droit et de Littérature de l'Université de Bucarest. Dans la même année, il publia sous le pseudonyme d'Antisthius le roman parodique "A la manière de Cioran, Noica, Eliade ...". Il refusa d'adhérer au communisme et d'accepter les idées communistes et devint chauffeur de camion pour un magasin de nourriture pendant le régime communiste jusqu'à ce qu'il ait un grave accident de voiture. À la suite de la pression de ses amis, il entre à nouveau dans l'activité littéraire. En 1980, il devient moine et il meurt en mars 1989, avant de voir la révolution roumaine contre le communisme.
Il a été condamné à 12 ans de travaux forcés et a connu les goulags roumains de Jilava, Gherla et Aiud dont il a été libéré en 1964.

Donnez vous recevrez

Aveugle, peu judicieux, et d'esprit étroit comme je le suis, je n'étais pas assez fou et inconscient au point de croire que le Christ nous demande de donner de notre excédent: cela, même les païens le font. J'étais cependant non qualifié et assez perdu dans les ténèbres pour penser - ce qui semble tout à fait en accord avec l'enseignement chrétien - que nous sommes invités à donner à partir du peu que nous avons, sinon même du très peu que nous avons. Je suis même allé aussi loin que d'être d'accord avec l'idée qu'à partir de la parabole des deux talents mis par la veuve dans la boîte à offrandes (Mc 12:41-44, Lc 21.1-4), il s'ensuit que nous devrions donner tout ce que nous avons, toutes nos possessions.

Il a fallu que je tombe sur la lecture, il y a quelques temps, d'un texte du poète français Henri Michaux (1899-1988) pour comprendre, avec tremblements et frissons, que le Christ demande tout autre chose: donner ce que nous n'avons pas.
Combien j'étais aveugle, manquant de sagesse et étroit d'esprit. Et enfermé dans les chaînes du sens commun le plus lamentable, comment aurais-je pu imaginer que le Christ-Dieu qui a accepté de prendre un corps et d'être crucifié sur la Croix comme le plus malheureux et le plus méchant des mortels, nous demanderait de donner à partir de l notre excédent ou de nos petites possessions, ou même de donner leur intégralité ? Comment aurait-il nous appeler à des actions si simples, tellement en conformité avec ce monde, c'est-à-dire si possibles ! Paul Claudel n'a-t-il pas défini Dieu pour nous, Lui attribuant cette parole: "Pourquoi avez-vous peur? Je suis l'impossible qui vous regarde."
Le Christ, fait précisément cette demande: l'impossible: donner ce que nous n'avons pas!
Mais écoutons Michaux: dans le monastère où il aimerait être reçu, un simple candidat pour le monachisme se présente. Il avoue à l'higoumène: Vous savez, mon père, que je n'ai ni foi, ni lumière, ni essence, ni courage, ni confiance en moi, et que je ne puis être d'aucun secours à moi-même, et encore moins pour qui que ce soit d'autre; je n'ai rien.
Il aurait été logique pour lui d'être rejeté immédiatement. Non, cependant ce ne fut pas le cas. L'higoumène (l'abbé, comme le dit le poète français) lui répondit: Qu'est-ce que cela a à voir! Vous n'avez pas la foi, pas la lumière, en les donnant à d'autres vous les aurez, aussi. Les cherchant chez un autre, vous pourrez les gagner pour vous. Votre frère, votre prochain et son semblable, c'est lui que vous devez aider avec ce que vous n'avez pas. Allez: votre cellule est dans ce couloir, troisième porte sur la droite.
Pas de l'excédent, et non pas d'après le peu que vous avez, mais à partir de ce que vous ne possédez pas, de ce qui vous manque. Donnez à un autre ce que vous n'avez pas - la foi, la lumière, la confiance, l'espoir - vous pourrez en acquérir aussi.

"Il faut l'aider avec ce que vous n'avez pas."
"Donnez ce que vous n'avez pas, vous acquerrez aussi, la nudité, le désert, ce qui te manque."
"Avec ce que vous croyez que vous n'avez pas, mais qui est, et qui sera en vous.
Plus profond que la profondeur de votre ego. Plus mystérieux, plus couvert, plus claire, la souce vive qui coule sans cesse, appelant, invitant à la communion. "
Oui, seulement de cette manière, vous serez en mesure de parler en tant que serviteur du Christ, le seul, plein de mystère: paradoxalement (comme Il nous l'a toujours enseigné: si vous voulez régir, servez, si vous désirez que l'on vous exalte, humiliez-vous, si vous voulez sauver votre âme, perdez-la pour moi, si vous voulez retrouver votre pureté, admettez votre culpabilité) et de manière surprenante (si vous donnez ce que vous n'avez pas, vous gagnerez aussi ce que vous avez donné aux autres) .
Je pense que nulle part, sauf dans les Évangiles, des paroles plus claires et plus chrétiennes été dites ailleurs que dans le petit poème de Michaux, Paroles qui m'ont stupéfait et enthousiasmé. Peut-être dans quelques fragments des Frères Karamazovet les Démons [de Dostoïevsky], peut-être que Cervantes en créant El nuestro Senor Don QuijoteEl Christo Español, peut-être Albert Camus dans le texte sur Oscar Wilde (intitulé L'Artiste dans les prisons) et sur le la Voie du Christ, non par la souffrance et la douleur (une voie bonne, quoique inférieure), mais par un excès de bonheur et des moments d'euphorie (une voie supérieure). Je crois que nulle part un poète ou un écrivain n'a parlé d'une manière plus appropriée de l'Inaccessible.
Donnant ce que nous n'avons pas, nous gagnons en retour, avec une démesure inimaginable, ce que nous avons osé donner à l'autre. La leçon est valable pour tout chrétien, clerc ou laïc. Pour le moine, surtout. Qu'il ne s'inquiéte pas, n'ait pas peur, ne soit pas inquiet, le moine qui sent son moi intérieur est désert, hanté par le manque de croyance et la faiblesse, plein d'obscurité et d'aridité, qu'il ne se préoccupe pas le moins du monde de cela. Ces tentations de désespoir, sont les inconvenantes farces du Malin. [Que le moine] donne à ceux qui viennent à lui, dans sa cellule, dans le jardin du monastère, sur le perron de la maison des hôtes, aux portes, afin qu'ils puissent trouver la foi, la force, la lumière et une lueur d'espoir, celle qu'ils attendent de lui et qu'il sait très bien que, dans ce moment, il ne peut pas avoir. Qu'il les leur donne. Et, en les leur donnant, ices dons reviendront vers lui et il aura bénéficié des dons faits aux autres.
"Donnant la lumière que vous n'avez pas, vous aussi, vous l'aurez."
Les paroles de Michaux, peut-être ne clarifient-elles pas plus en profondeur le texte de Matthieu 25 à propos du Redoutable Jugement? Peut-être que les bons, n'ont pasdonné à ceux qui étaient assoiffés de l'eau dontils manquaient, aux affamés de la nourriture qu'ils n'avaient pas, à ceux qui étaient nus, les vêtements dont ils étaient dépourvus?

Le secret de la vie monastique se révèle le suivant: oser donner ce qui, temporairement, peut vous faire défaut. Voici donc le paradoxe chrétien dans sa totalité, splendeur et vertu. Mais voici la promesse étonnante: donnez ce que vous n'avez pas, vous gagnerez ce que vous avez su donner à partir de la vacuité de votre être. Le don supranaturel se reflète sur vous, vous revient comme un boomerang, comme un rayon de lumière projetée sur un miroir, et vous enrichit, vous remplit, vous comble.
Bien sûr! Il ne pouvait pas en être autrement! Comment pourrait-on penser, même pour un instant (pour ne pas dire des années!) que le Christ veut donner à partir de ce que nous avons: l'excédent, le tout petit. Quelle dérision, louable effort en vérité! Trop humain, œuvre pauvre et pitoyable! Quelque chose de différent est demandé de nous: ce qui semble être impossible. Quelque chose d'autre est promis: ce qui ne peut être ni conçu, ni cru.
Que toute crainte, incertitude, pusillanimité, peur de l'hypocrisie disparaisse de nous, les moines: le moine est destiné à donner aux autres la foi et la lumière, même s'il peut en manquer pendant un temps plus court ou plus long. Même s'il est dans une crise d'apathie. Même s'il était coupable d'affaiblissement de son zèle et de fermeté dans le monachisme.
Pourrait-il le faire? Pourrait-il accomplir le miracle? Bien sûr, puisqu'il fait partie de ceux dont le Christ dit qu'ils ne sont pas de ce monde, comme je ne suis pas de ce monde" (Jean 17:16). Et encore: "Mais je prie non seulement pour eux, mais pour ceux qui croiront en moi par leur parole." (Jean 17:20). Et dans le livre des Actes (20:35) Paul dit aussi: "Il faut aider les faibles et se rappeler les paroles du Seigneur Jésus: "Il y a plus de bonheur à donner qu'à recevoir."
En vérité, en donnant au-delé de ce qui est naturel, nous recevons la grâce surabondante. Ainsi, que le faible dise: donne-moi, Seigneur, quand je suis perdu et nu, la force et l'impudence d'être en mesure de donner de ce que je n'ai pas. Et fais que ce don qui est mien, paradoxal, absurde et audacieux, revienne vers moi par Ta miséricorde, qui considère la sagesse de l'homme comme folie et l'adage "nemo datquod non habet" comme airain sonore et cymbale retentissante. Toi Qui ne demande que l'impossible et ne fais seulement ce que l'esprit humain ne peut pas comprendre.

Moine Nicolae Steinhardt



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